Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Vancouvérois Derek Kwan – acteur, producteur, scénariste, réalisateur – ne manque pas de talent. C’est aussi un habitué du programme Talent tout court de Téléfilm. En 2019, Idols Never Die de Jerome Yoo a été choisi dans la cohorte; Kwan avait aidé à le produire. En 2022, Maundy d’Adriana Marchand faisait partie de Générations, une sélection de courts métrages présentée à Cannes l’an dernier; Kwan l’avait produit.
Et cette année, le premier film narratif de Kwan, 100 jours, fait partie de «C’est compliqué », la dernière édition de Talent tout court. Encore mieux : Maddy Chang et Marchand l’ont produit.
« C’est drôle de penser que cette fois, nos rôles sont inversés : Adriana Marchand est la productrice et je suis le réalisateur », mentionne Kwan au sujet de cette coïncidence. Mais cette situation surréelle deviendra bientôt très réelle, les deux étant impatients de se retrouver sur la Croisette : « Nous allons au Marché avec confiance cette année, et nous sommes heureux d’emmener avec nous une plus grosse équipe avec laquelle nous allons partager et vivre toute l’expérience que le festival a à offrir. »
Comédie dramatique sur une célébration familiale lors d’un banquet chinois, 100 jours amène aussi Kwan à inverser les choses autrement : à passer du style documentaire au cinéma narratif avec un premier film génial, un film qui jongle, tel que mentionné dans les notes du programme, avec un festin de relations familiales complexes pendant un repas à dix services.
J’ai toujours eu le cinéma narratif dans ma mire », dit Kwan. « Après mes études universitaires, faire du cinéma en passant par le documentaire était un premier pas naturel, les barrières à l’entrée étant moins hautes. J’ai continué sur ma lancée dans cet espace, mais des histoires narratives continuaient de mijoter dans ma tête. Après avoir travaillé sur des tonnes de projets scénarisés, comme producteur, premier assistant-réalisateur et acteur… cela a été assez long avant que je m’attaque à ce projet. »
Mettant en vedette Phoebe Miu dans le rôle de Charlie, une jeune femme qui a une grande nouvelle à annoncer, et Doris Lum dans celui de Soo, la mère de Charlie qui a un nouvel (!) amoureux, 100 jours marie tension et humour pour offrir un regard neuf sur un repas familial stressant, une facette de la vie qui ne connaît pas de frontières. « Je tenais vraiment à raconter une histoire qui reflète mon point de vue sino-canadien, et j’ai donc toujours su que le scénario allait mélanger l’anglais et le cantonais, impliquant une famille des temps modernes », dit Kwan.
Ah, mais comme les êtres humains, comme les familles élargies, le cinéma aussi c’est compliqué. Compliqué, mais pas impossible, surtout avec une touche d’ingéniosité propre aux films indépendants. « Nous avons constaté très tôt que de tourner dans un vrai restaurant chinois poserait tout un défi », dit Kwan, qui partage volontiers ses observations et ses leçons tirées du processus artistique.
Le restaurant que j’avais choisi au départ n’était fermé que les mardis, et si nous voulions tourner cette journée-là et éviter les heures d’ouverture, les tournages de nuit semblaient inévitables. Ce qui n’est pas idéal avec des artistes et une équipe technique qui travaillent de bonne grâce sur ce projet personnel, sans compter qu’un bébé fait partie de la distribution! J’ai donc élargi mes recherches et j’ai trouvé un restaurant qui – pure coïncidence – est situé dans le quartier de Vancouver-Est où j’ai grandi. Le restaurant était fermé et une affiche sur l’édifice indiquait qu’il était en rénovation, mais lorsque j’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu que l’intérieur du restaurant était pratiquement intact. J’ai contacté la productrice adjointe Lynne Lee (qui joue aussi le rôle de la gérante dans le film) pour qu’elle essaie d’en apprendre davantage sur le restaurant ou le propriétaire. Nous étions samedi matin. Dans l’après-midi, elle l’avait trouvé et nous avons prévu une visite des lieux pour le lundi. Durant la visite, nous avons négocié notre tarif. Le propriétaire nous a remis les clés sur-le-champ. Nous avons eu accès à l’espace pendant deux semaines entières avant le tournage. Du jamais vu. »
(Cette anecdote s’inscrit dans la leçon de cinéma 101 de Kwan : « Utilisez ce qui est à votre disposition. »)
Mais qui dit film tourné dans un restaurant dit images de plats qui donnent l’eau à la bouche. Kwan, qui a déjà voulu être chef cuisinier, ne déçoit pas. « C’était important pour moi de montrer un repas à dix services de style banquet chinois, ce qui, évidemment, varie d’un restaurant à l’autre, mais ils offrent généralement le même type de plat pour chaque service », explique-t-il. « Ça commence avec une assiette froide comprenant de la méduse, et ensuite, il y a toujours un moment durant le repas où une tonne de plats semblent arriver tous en même temps sans qu’on soit capable de suivre le rythme. » (Dans 100 jours, remplacez « plats » par « commentaires passifs agressifs » pour avoir une idée du feu roulant de répliques qui s’ensuit.)
J’aime comment la nourriture soulève ces émotions qui atteignent un point culminant », dit Kwan, qui mentionne tout spécialement la soupe-dessert aux haricots rouges qui termine typiquement un banquet et que l’on remet souvent gratuitement aux convives. « Personnellement, je déteste ça », dit-il en parlant de la soupe. « La texture granuleuse n’est pas agréable, ça n’a pas l’air appétissant, et je me suis dit que ce serait amusant que ce soit cet humble plat qui déclenche tout ce cirque à la table. »
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, c’est un plaisir à regarder, surtout lorsque Kwan nous entraîne vers le dénouement avec la grande nouvelle de Charlie. « Ce soir-là, Charlie traverse une montagne d’émotions et élabore toutes sortes de scénarios dans sa tête, et à la fin, je pense qu’elle se demande si elle doit secouer les choses encore une fois ou se taire et ne rien faire », dit Kwan.
100 jours est présenté dans le cadre de « C’est compliqué », la dernière édition du programme Talent tout court de Téléfilm. Après le Marché, Kwan a une série télévisée de style comédie dramatique en développement (pour citer l’accompagnatrice en gestion de carrière Kadine Cooper, « Soyez toujours prêt pour ne pas avoir à vous préparer ») : Last Night’s Rice, une série scénarisée que Kwan décrit comme la rencontre entre The Bear et Atlanta avec une touche de How to Make It in America, le tout à saveur asiatique. Autre bonne nouvelle, Kwan et Marchand font de nouveau équipe, cette fois pour produire le long métrage de Marchand qui vous laissera « bouche bée », au dire de Kwan. Je le crois sur parole.
Les 7 courts-métrages Talent tout court du Canada seront disponibles via la vidéothèque de courts métrages de Cannes et seront projetés dans le cadre de la programmation de Short Film Corner le 22 mai. Les participant.e.s assisteront au Short Film Corner 2023. Pour de plus amples renseignements, veuillez contacter : ann-marie.picard@telefilm.ca.
JAKE HOWELL
Jake Howell est un auteur de Toronto et un programmateur de films à la pige.