Dans ce programme de sept courts métrages canadiens, les cinéastes se penchent sur des événements réels, explorent les souvenirs d’êtres chers passés et présents, et considèrent comment les histoires influencent l’avenir.
C’est sans doute normal – peut-être est-ce dû en partie au fait d’avoir passé près de deux ans en pandémie – mais dernièrement, le passage du temps nous semble bizarre. On dit que le temps passe vite quand on s’amuse, mais ce n’était certainement pas le cas pendant le confinement. Pourquoi, alors, est-ce que le monde donne l’impression d’avancer de plus en plus vite?
Nous avons tous des moyens différents de gérer cette accélération. En isolement, les films constituent une excellente option. Nous pouvons repousser les quatre murs qui nous entourent, et nous évader ailleurs. Nous pouvons ouvrir une capsule temporelle et y exister tout en ralentissant les choses afin d’avoir une chance de réfléchir à ce que nous avons vécu.
Repenser à ce que nous avons vécu… Le passé était justement un thème commun à la plupart des films présentés dans le cadre du programme Talent tout court de Clermont-Ferrand 2022.
Mais cela ne veut pas dire que ces films, et ces cinéastes, font du surplace. Penser n’est pas stagner, et gérer ce que nous vivons non plus. Au contraire, lorsque nous considérons le passé, il peut nous éclairer sur l’avenir.
Dans Les Chevaux, notre première œuvre au programme Talent tout court, une jeune femme fait le tour des étables locales pour essayer de trouver un partenaire pour son hongre après l’euthanasie de ses deux juments par la SPCA, et se heurte au refus des propriétaires. S’inspirant de faits réels, la réalisatrice Liz Cairns reproduit un souvenir difficile de l’histoire de sa famille sur magnifique pellicule 16 mm.
C’est suivi par Triangle noir, un film d’animation de Marie-Noëlle Moreau Robidas qui illustre la tristement célèbre crise du verglas de janvier 1998, qui a sévi dans l’est de l’Ontario, dans le sud du Québec et dans certaines parties des États-Unis, avec ses bris d’infrastructures majeurs et ses pannes étendues. Une région surnommée le triangle noir a été plongée dans l’obscurité et le froid mordant, sans électricité, pendant plusieurs semaines. Ce court métrage revient sur l’événement, avec une touchante histoire empreinte d’humanité qui nous garde bien au chaud.
Les Grands-mères de Millefiore Clarkes, un superbe court métrage documentaire avec des touches de danse et d’animation, commence par la question suivante : « Comment avancer pour le reste de ma vie avec grâce ou enthousiasme? Qu’est-ce qui m’attend? Où vais-je? »
« Ok, où es-tu allé? » répond l’un des trois sujets du film, tous des femmes qui réfléchissent sur les difficultés, la bienveillance, la foi et l’amour. Des moments comme celui-ci confèrent à ce documentaire une sagesse unique.
De son côté, Pas de fantôme à la morgue est un court métrage dramatique fascinant réalisé par Marilyn Cooke. On y suit Keity, une jeune étudiante en médecine qui doit faire un stage avec un pathologiste, un médecin formé par Myriam, la grand-mère de Keity. Alors qu’elle passe du temps dans la morgue, Keity rêve à sa grand-mère, qui vient peut-être de lui accorder la force spirituelle dont elle a besoin pour réussir sa carrière.
Il n’y a aucun fantôme dans Cher Monsieur Dudley, un film épistolaire de Morgan Rhys Tams, mais on devine tout de même leur présence. Le documentaire est raconté par Tams et son père biologique, un homme que le réalisateur n’a jamais rencontré. Ils se lisent leurs lettres l’un à l’autre, sur les images Super8 tournées par Tams lors de son périple à travers le Canada, afin de se rencontrer pour la première fois. Alors que Tams roule vers l’est, des images granuleuses et souvent irréelles de nos nombreux horizons deviennent des toiles de fond poignantes pour cette quête riche en émotions.
Pendant que je suis ici de Mark Bethune est le prochain court métrage au programme. Ce film présente des thèmes semblables de relation père-fils, sauf que l’hybride documentaire-comédie de Bethune est le résultat créatif de la sensation d’être pris en cage dans un chalet légué par son père. Cette propriété renferme beaucoup de souvenirs, dont plusieurs avec son père, et Bethune donne libre cours à son esprit et à ses ambitions afin de leur rendre hommage.
Finalement, Falena de Nancy Pettinicchio raconte l’histoire de Leila, une jeune femme qui s’apprête à quitter sa petite banlieue. Par un bel après-midi d’été – l’un de ses derniers, peut-être, à cet endroit et à ce moment de sa vie – Leila passe par une vente de garage, où elle trouve une photographie de nu prise il y a plusieurs décennies. Annette, le sujet de la photographie, est la même femme qui organise la vente, et leur amitié déclenche chez Leila une curiosité pour l’autoportrait doublée d’une exploration de son identité.
La dernière image de Falena, qui conclut également ce programme Talent tout court, est un regard silencieux et prolongé sur l’arrière de la voiture de Leila, qui part au loin. Nous ne savons rien de sa destination. Ce n’est jamais dévoilé. Tout ce que vous savons, c’est qu’alors qu’elle avance dans la vie et commence ce nouveau chapitre, elle saura où elle a été.
Elle n’oubliera pas de regarder vers le passé.
Talent tout court est propulsé par Téléfilm Canada, en partenariat avec Ontario Creates. Ce programme sera présenté au Marché international du film court de Clermont-Ferrand, le 2 février à 14 h HAEC (en ligne et sur place). Le programme Talent tout court vise à accroître la visibilité des nouveaux courts métrages canadiens et à promouvoir les créateurs auprès des délégués de l’industrie inscrits sur les marchés internationaux, comme les acheteurs ou des programmateurs de festivals. Pour en savoir plus, contactez : clemence.bradley@telefilm.ca
JAKE HOWELL
Jake Howell est un scénariste et un programmateur de films indépendant de Toronto.