En un clin d’œil numérique, le style emblématique du Studio Ghibli (et de Hayao Miyazaki) est devenu, du jour au lendemain, instantanément reproductible (au simple coût de l’énergie et de l’eau).
J’ai tiré mes propres conclusions sur les réalités que des moments culturels comme celui-ci rendent possibles, mais… si nous pouvons créer des images acceptables aussi rapidement, une question me taraude. Comment allons-nous continuer à justifier de faire les choses à la dure, à l’ancienne? Ou plutôt, comment les cinéastes vont-ils convaincre les investisseurs qu’il vaut la peine d’escalader des montagnes, au propre comme au figuré, pour obtenir la prise de vue parfaite? À quoi bon viser haut et frapper fort s’il existe des cibles moins élevées et plus faciles à atteindre?
Présentés ce mois-ci au Short Film Corner du Festival de Cannes, les sept courts métrages de la cohorte Talents tout court de cette année répondent à ces questions, chacun à leur façon. Ils nous rappellent le résultat, ou la magie intangible, qu’on peut obtenir en allant jusqu’au bout.
Lorsqu’on parle de faire quelque chose à la dure, En plein air, le court métrage de science-fiction de Morgana McKenzie, est carrément dogmatique sur le plan créatif. Tourné uniquement à la lumière naturelle (et en extérieur dans le désert de Mojave), le film de McKenzie se distingue par des images remarquables d’une peintre déterminée à se lever, à travailler avec acharnement et à peindre… et cette fois-ci, à peindre quelque chose de bon. Le temps est compté, les ressources sont limitées, et l’artiste est confrontée à des montagnes de doutes. Mais n’est-ce pas le cas de tous les artistes?
En plus d’être un film charmant et chaleureux, Yves et ses bonsaïs, le documentaire d’Ophelia Spinoza sur la collection de bonsaïs d’un aîné québécois, est la preuve que le temps et la vision sont des choses qu’on ne peut pas toujours précipiter. Cultiver quelque chose de spécial – comme une longue et heureuse vie à deux, ou les spécimens étranges et merveilleux qui poussent dans le garage d’Yves – requiert de l’humour, une main ferme et assurée, et surtout, de la patience.
The Palace, un court métrage hybride de Lauren Marsden, nous transporte dans un lieu secret au cœur de la forêt, décor classique pour des expériences authentiques loin du cyberespace. Arriver jusque-là demande des efforts, mais une fois sur place, c’est comme un Terabithia pour vingtenaires : une forteresse remplie de guirlandes de lumières, de canettes de bière et de tapis de mousse. Pour y accéder, écartez-vous de la route, marchez avec précaution le long d’un tronc d’arbre et enfoncez-vous dans les bois (c’est ce qu’on appelle « à la dure »). S’y rencontrent aujourd’hui Jayde et Dani – des amies, assurément, mais il y a clairement quelque chose de plus entre elles… et quelque chose d’autre, moins clair, qui rôde à l’extérieur.
Sitting Bird, le court métrage élégant et posé d’Athena Han, présente également la forêt comme un endroit mystérieux par opposition à la banlieue, mais davantage encore comme un royaume du chaos jouxtant les hiérarchies et les constructions de la réussite et de la raison d’être. Ici, un père au foyer, accablé par l’impression d’être un mauvais pourvoyeur, se retrouve un jour en train de pourchasser un flamand, tentant ainsi de sauver un animal de compagnie perdu dont il a vu la photo sur des affiches dans le quartier. Et se sont ses sensibilités humaines (et sa bienveillance) qui apportent tant de richesse à cette quête.
Toujours en mouvement, un court métrage d’animation de Rui Ting Ji au sujet de la relation tendue entre une mère et sa fille en route dans un camion de déménagement, trouve un équilibre entre nuances culturelles et dynamique familiale alors qu’elles songent à tout ce qu’elles laissent derrière elle, divorce y compris. Il y a beaucoup de choses entassées dans ce U-Haul de malentendus, mais un style d’animation mature et subtil font que c’est un réel plaisir de déballer le tout.
I Hate Babies, le court métrage à l’humour noir de Sidney Leeder, Alona Metzer et Walter Woodman possède le scénario et l’esprit nécessaires pour faire honneur à son titre accrocheur. Son héroïne est entourée de « mombies », des jeunes parents ravis d’avoir des enfants, c’est le bonheur, clament-ils! Elle n’en est pas convaincue, mais après avoir fait retirer son stérilet, la possibilité de tomber enceinte lui trotte dans la tête. Porter un enfant et le mettre au monde est l’une des choses les plus réelles que puisse faire un être humain, mais ce n’est certainement pas pour tout le monde. En présentant avec assurance une multitude de points de vue sur le sujet, ce court métrage l’est, sans aucun doute.
BOA, le court métrage d’Alexandre Dostie (coproduit à l’international), est une œuvre cinématographique majeure d’une ampleur qui dépasse celle de nombreux longs métrages. Dostie parvient à tracer une ligne directe entre une abbaye de moines perchée au sommet d’une colline et un gym situé au centre-ville. Ce faisant, il juxtapose deux confréries de capuches bien différentes, portées par une ferveur religieuse et un rituel quotidien. Après qu’un acte de Dieu a détruit le toit de l’abbaye, un jeune moine a l’occasion de faire ses preuves d’une manière jusque-là insoupçonnée.
Ces courts métrages ne manqueront pas d’impressionner, non seulement par leurs histoires et leur réalisation inspirée, mais aussi parce que chacun réussit à offrir une réponse pointue aux questions que soulèvent les tendances et les forces du marché.
Vous allez à Cannes ce mois-ci? Regardez les films du programme Talents tout court de Téléfilm sur la VideoLibrary du Short Film Corner.
Jake Howell est un scénariste et programmateur de films de Toronto.