L’hiver! Nous avons les deux pieds dedans. Pour certains, le temps froid est l’excuse parfaite pour rester à l’intérieur, se tenir au chaud et regarder quelque chose de bon (une série de courts métrages peut-être?). Pour d’autres, être confiné entre quatre murs est précisément ce qui est si étouffant, la température, la plupart du temps, nous rappelant avec insistance que cette saison est un temps pour s’arrêter – une occasion de réfléchir à ce que l’on fera lorsque le temps s’adoucira un peu. Appelons cela une hibernation émotionnelle.
Heureusement, donc, qu’il n’y a pas une saison pareille. Si l’hiver n’est pas ma saison préférée, je me réjouis quand même de la perspective qu’il offre de l’arrivée de l’été. Ensemble, ces saisons, ces changements, apportent une certaine structure à l’année, et je ne pense pas que je pourrais m’en passer.
Mais ce qui est remarquable, c’est la façon dont les neuf courts métrages du programme Talent tout court sélectionnés cette année pour Clermont-Ferrand 2023 illustrent parfaitement ce cadre pour accueillir le changement.
Le programme commence par un arrangement visuel : Bouquet Quatre Saisons, l’œuvre expérimentale d’Emma Roufs sur un jardin, animée par la flore, des oiseaux et des insectes. Allant de-ci de-là comme une des nombreuses libellules du film, la caméra de Roufs capte sur une période d’un an l’agitation incessante – la véritable entropie – d’un écosystème, tout cela en moins de quatre minutes et sans un mot.
Il y a une scène dans le court , Insta Gay, de Simon Paluck, dans laquelle Michael, un trentenaire rebuté par le côté antisocial de la culture en ligne, marche dans une rue froide de Toronto avec son colocataire. Ils sont tous deux emmitouflés dans des manteaux d’hiver. Un joggeur, qui est aussi un influenceur, les croise en courant torse nu, et c’est comme si l’été se pointait le nez pour les narguer. Une taquinerie, donc; un peu comme le court métrage lui-même, qui se conclut avec Michael prêt à entamer un nouveau chapitre de sa vie : il est temps de combattre l’émoji du feu par un émoji du feu. Il est temps… de se teindre les cheveux en blond.
Simon Garez est un cinéaste, mais il est aussi un apiculteur. Dans Un paradis pour les abeilles, il marie ses deux passions pour effectuer une étude narrative réfléchie sur la profession familiale. La neige fond à Nipawin, en Saskatchewan, et alors que la vie recommence (comme il se doit) à bourdonner de nouveau, les colonies d’une ruche endormie, dont s’occupe un jeune homme, reposent inertes sur le sol. Dédié à son père, le court métrage de Garez est un film personnel.
De petites taches de couleur animent Jardin bleu, qui marquent le retour de Natalie Murao au programme Talent tout court (No More Parties a été présenté à Clermont-Ferrand en 2021). Dans ce film à mi-chemin entre l’animation et le documentaire, Murao plonge dans l’histoire de son grand-père, son ojiichan, un Japonais interné à Solsqua, en Colombie-Britannique, durant la Deuxième Guerre mondiale. Dans cette exploration, à la fois réfléchie et ouverte, Murao en vient à comprendre pourquoi elle n’a jamais aimé les tomates.
Comment ne pas aimer un titre comme Faire un enfant. Honnêtement, on comprend tout de suite de quoi il retourne. Cela donne le ton à la comédie dramatique vraie et hilarante d’Éric K. Boulianne qui raconte l’histoire d’un couple essayant désespérément de procréer — essaie après essai, semaine après semaine — sans détour. Je n’en divulguerai pas le dénouement, mais je peux affirmer avec plaisir que ce qui commence en hiver se termine chaleureusement en été.
Faire de la planche à roulettes dans la rue. C’est une réappropriation de l’environnement urbain. En réalité, c’est la liberté de faire ce que l’on veut, là, et quand on le veut. Dans le court métrage documentaire Summer Nights, Virgile Ratelle suit un groupe de planchistes adolescents occupés à profiter au maximum de leur temps avant d’avoir à affronter les réalités de la vie adulte, qu’ils se dépêchent de repousser. On réalise des figures, on admire des levers du soleil, et on décide — tiens, ici aussi — de se teindre les cheveux en blond.
Summer Nights est suivi de Fin de l’été de Ryan Steel, une comédie sur le passage à l’âge adulte tout aussi remarquable qui transpose l’étrangeté analogique d’une époque révolue dans un décor de camp de vacances. Ai-je dit que le camp était hanté? Le camp est hanté. Un fantôme légendaire n’est qu’une des surprises originales que nous réserve Steel alors qu’il suit un ado solitaire et peu loquace traversant la bizarre période qu’est la préadolescence, et la richesse de cette étrangeté marque la fin de la saison de façon mémorable.
Parlant de fantômes, la maison au centre du film Les escaliers sont en papier d’Antoine Foley-Dupont est également hantée. Pas littéralement, mais… possiblement. Peut-être que cela dépend de votre définition du mot « hanté ». Quoi qu’il en soit, ce court automnal est une ode aux souvenirs impérissables que les familles laissent dans leur maison, qui, dans le cas présent, est sur le point d’être mise en vente. Ce n’est pas pour rien que le film se passe en automne, cette saison marquant, naturellement, la fin de l’abondance – un temps pour dire merci et célébrer les bons moments avant l’arrivée du froid.
Le film choisi pour clôturer le programme basé sur le changement des saisons est Le rocher d’une année de Brielle LeBlanc, une ode poétique sur le fait de vivre sous le poids d’une question obsédante pendant 365 jours ou presque. Billy, poète, ne sait pas si la personne avec laquelle il passe du temps éprouve des sentiments amoureux. Leur relation est-elle purement platonique? Avec l’aide de Dylan, son colocataire, Billy réussit à affronter ses sentiments en les assumant, en les explorant par l’écriture. Ainsi, Billy évoque par la poésie un rocher de bord de mer, et avec l’arrivée de l’été, il décide d’exprimer ce qu’il ressent – au diable le rejet.
Pour ce qui est de Clermont-Ferrand 2023, puisqu’il se tient de la fin du mois de janvier et au début defévrier, l’événement peut être vu comme le début d’une année de courts métrages passionnante. J’espère que les cinéastes derrière chacune de ces neuf œuvres remarquables, en plus de profiter pleinement de l’événement même, ont de merveilleuses saisons qui les attendent.
Talent tout court est propulsé par Téléfilm Canada. Ce programme sera présenté au Marché international du film court de Clermont-Ferrand, le mercredi 1 février à 14 h HAEC – Théâtre Georges-Conchon. Le programme Talent tout court vise à accroître la visibilité des nouveaux courts métrages canadiens et à promouvoir les créateurs auprès des délégués de l’industrie inscrits sur les marchés internationaux, comme les acheteurs ou des programmateurs de festivals. Pour en savoir plus, contactez : clemence.bradley@telefilm.ca
JAKE HOWELL
Jake Howell est un auteur de Toronto et un programmateur de films à la pige.