Si le Tartare de la mythologie grecque était réel, on pourrait dire que Sisyphe, condamné au châtiment éternel, serait encore en train d’essayer de pousser fortement un rocher au sommet d’une colline. Je trouve cela amusant ; je n’avais pas pensé à la détresse de Sisyphe lorsque j’ai visionné Le rocher d’une année, le premier court-métrage de la scénariste et réalisataire Brielle LeBlanc et du productaire Seán M. Galway. Pourtant, le roi de Corinthe est la première chose à laquelle Brielle LeBlanc fait référence comme source d’inspiration dans son travail.
« C’est une image ancienne, Sisyphe qui est condamné à rouler un rocher au sommet d’une montagne » , commence Brielle LeBlanc. « Ses efforts futiles sont interminables, il est condamné à réaliser cette tâche pour l’éternité. »
Divisé en quatre chapitres (représentant chaque saison), Le rocher d’une année est, en fait, une histoire de rochers. Des rochers d’émotions, comme ceux qui pèsent lourdement sur l’esprit de Billy :
Billy (Em Grisdale) est un poète qui vit avec son colocataire Dylan (Marley O’Brien). Billy ne sait pas s’iel est sur le point d’entamer une relation romantique avec son nouvel ami, ou si leur lien, enthousiaste et naissant, est strictement platonique. Alors que l’automne se transforme en hiver, que le printemps se transforme en été – que les questions se transforment en angoisses – Billy, avec l’aide de Dylan comme soutien émotionnel, trouve la force de parler de ses vrais sentiments, même si le rejet doit être gravé dans la pierre.
L’histoire de Le rocher d’une année ne porte donc pas sur l’acte impossible de tenter de déplacer quelque chose d’inamovible, mais plutôt sur le fait de s’abandonner sur l’espace que prend le rocher, et de travailler avec le rocher.
« Pour moi, l’image d’une personne et d’un rocher qui sont émotionnellement liés était intéressante », dit Brielle LeBlanc. « L’histoire de Le rocher d’une année ne porte donc pas sur l’acte impossible de tenter de déplacer quelque chose d’inamovible, mais plutôt sur le fait de s’abandonner sur l’espace que prend le rocher, et de travailler avec le rocher. »
Dans le cas de Billy, iel travaille avec son rocher en écrivant à son sujet – sous forme de poèmes, révisés en collaboration avec Dylan dans leur appartement. « Dylan apporte une légèreté qui agit toujours pour contrer les parties pesantes du monde intérieur de Billy », dit Brielle LeBlanc, qui est également poète. Ces poèmes sont un moyen pour Billy d’aborder et d’enrichir ses pensées les plus profondes.
En tant que spectateurs, alors que nous entendons et regardons Billy réciter ses poèmes et ses pensées intimes, les poèmes prennent la forme de gribouillages, superposés sur la pellicule du film Le rocher d’une année.
Lorsque les saisons changent, les poèmes de Billy – qu’iel lit à voix haute dans son appartement – le transportent ainsi que les spectateurs vers un énorme rocher au bord de la mer. Quel que soit le temps, Billy escalade le rocher. Chaque escalade, tournée en 16 mm et en Super 8, est une escapade insolite.
« C’était un défi logistique – tout le monde ne cessait de le répéter – mais l’utilisation des pellicules a créé une direction que ma vision a pu suivre », explique LeBlanc. « Le film est divisé en deux mondes : la maison intime et le littoral poétique du monde intérieur de Billy. Je savais que ces deux univers devaient être visuellement opposés. Dans les séquences de dialogue entre Billy et Dylan, je voulais une image très claire pour les plans larges statiques. L’utilisation du 16mm était une évidence pour moi », ajoute-t-iel. “Pour les scènes du rocher, le Super 8 nous a donné une flexibilité dont nous avions besoin pour les séquences filmées caméra à l’épaule. »
Mais comment trouver un énorme rocher pour ce deuxième monde ? « Il a fallu trois repérages et de nombreuses nuits sur Google Maps Satellite pour trouver le rocher, la vedette de notre film » raconte LeBlanc. « Sur le chemin du retour du deuxième repérage, en écoutant une cassette de Patsy Cline, épuisée sur le siège arrière de la voiture, j’ai vu le rocher sur le bord de l’autoroute. Sans rien dire, j’ai noté la position, et j’y suis retourné plus tard. Lorsque nous sommes revenus et que nous avons gravi la colline située devant le rocher, j’ai su avec certitude qu’il serait la référence visuelle du film. »
Bien que sa taille et son importance thématique soient considérables, le rocher n’est que la moitié de la vision de LeBlanc. L’histoire de Billy, qui s’étend sur une année, passe en revue chaque saison, les changements apparents, de manière subtile ; les aménagements de l’appartement, l’évolution des vêtements sur les patères.
« Si l’on considère les saisons de manière plus abstraite, on comprend que, pour chacune d’elles, des habitudes gravitent et influent sur nos comportements », explique LeBlanc. « L’hiver est souvent une période de repli sur soi, tant physiquement que mentalement. À l’inverse, l’été peut être spontané et mouvementé. L’automne – enthousiasme, fraîcheur, abondance. Le printemps – un réveil, un élan d’espoir. »
L’histoire de Billy se termine lorsque l’été arrive « spontané et mouvementé » est une excellente façon de le décrire). Peut-être que le temps chaud est le moment idéal pour passer à l’action. « Il est intéressant de réfléchir aux effets des saisons sur Billy : en réalité, nous ne voyons jamais Billy en dehors de son espace douillet, une représentation cruciale. D’où j’en viens à dire que la maison existe de manière semi-séparée du monde extérieur. C’est presque comme si la maison avait ses propres saisons. »
C’est vrai. Au fur et à mesure que le calendrier avance, chaque scène que nous voyons du salon de Billy et Dylan semble différente de la précédente : un tableau visuel tournant rempli d’art, de bibelots, d’instruments… de tout. Il y a même un échiquier positionné sur la Partie italienne (Giuoco Piano ou quiet game en anglais), une ouverture du jeu d’échecs qui, comme le révèle LeBlanc, fait des jeux de mots intentionnels sur l’intrigue du film.
« Dans le monde réel de Billy, les saisons durant une année peuvent indiquer un changement définitif, mais ce changement est si doux qu’on ne le remarque vraiment qu’à postériori. C’est la raison pour laquelle les changements de saisons et les changements psychiques ne sont pas aussi diaphanes que nous le pensons. »
« Le mouvement du changement, bien que lent, aboutit quand même à une transformation. Si quelqu’un demandait à Billy : « Comment s’est passée ton année ? », je me demande ce que Billy répondrait », remarque LeBlanc. « Sommes-nous conscients de nos changements ? Ou, les vivons-nous simplement dans un mouvement balancé, influencé par ces tendances inconscientes des saisons ? »
Le rocher d’une année est l’un des neuf courts métrages sélectionnés pour « Les saisons changent »”, la dernière programmation de Talent tout court de Téléfilm Canada aux Festival de Clermont-Ferrand 2023. En créant Le rocher d’une année, LeBlanc et Galway ont lancé Enodia Films, leur société de production, qui possède deux courts métrages à son actif dont Burnt Toast. Ce dernier a été écrit et réalisé par LeBlanc, et raconte l’histoire de deux voisins qui discutent de l’embourgeoisement de leur rue sur leur perron.Galway a également écrit un projet : Metaphysical Import-Export, un film expérimental sur la transmisogynie, qu’iel va réaliser.
JAKE HOWELL
Jake Howell est un auteur de Toronto et un programmateur de films à la pige.