Quelques mois après la naissance de mon fils, j’ai commis ce qui doit être une erreur fréquente chez les parents d’un premier enfant : après avoir changé sa couche et ses vêtements, j’ai jeté par erreur son cache-couche à la poubelle. Oups!
Et puis après? Ce n’était qu’un cache-couche, un petit bout de tissu qu’il allait porter, avec un peu de chance, encore quelques semaines. Et pourtant, il avant quand même une valeur sentimentale. En partie parce qu’il était adorable, mais surtout, parce que c’était le premier vêtement que nous avions acheté pour notre enfant à naître, et qu’il représentait l’étoffe de la nouvelle vie dans laquelle je venais d’entrer.
Voilà le pouvoir matériel des fils qui tissent nos histoires quotidiennes. Du mental au culturel, de l’affectif au familial, ces tissus sont les liens qui forment nos tapisseries personnelles. C’est une chose à laquelle j’ai souvent réfléchi en visionnant cette dernière édition du programme Talent tout court de Téléfilm Canada, car dans la sélection de sept courts métrages canadiens, un thème ressort de cette courtepointe : lorsqu’il est question de se sentir soi-même (ou même de se sentir accepté.e), trouver les bons motifs peut faire toute la différence.
Les choses commencent à se dérouler, quoique fébrilement, avec Glad You’re Out, le court métrage de Matthew Moir sur une fête à la maison qui se veut aussi une étude sur l’anxiété. (Et sur les anxiétés.) (Et sur une superbe garde-robe .) Déambulant dans un sous-sol suintant au fil d’une série de conversations coincées, Cole, joué par Moir, porte un chapeau tricoté qui lui sert peut-être de soutien affectif, surtout lorsqu’il l’offre à quelqu’un d’autre qui vit aussi une soirée difficile.
Ce film est suivi du court métrage The Cut de Molly Flood, qui nous transporte en canot sur une île lointaine dans la nature sauvage de l’Ontario où deux amies (dont l’une est interprétée par Flood qui était enceinte de huit mois au moment du tournage) en profitent pour décrocher de leur quotidien. Mais l’amitié entre ces deux femmes semble s’effilocher. Les choses peuvent-elles être raccommodées? Le lien peut-il être rétabli? Les mêmes questions se posent suivant un geste malhabile avec un couteau de cuisine.
Il arrive parfois qu’un emploi devienne quelque chose de plus lorsque l’équipe de travail est tissée très serrée. C’est certainement le cas dans le court métrage documentaire L’Artifice d’Isabelle Grignon-Francke, où l’on suit Kim, un homme qui passe l’été avec une foire itinérante. Ses tâches sont variées, qu’il s’agisse d’installer des structures ou de réparer des prix (et même de raccommoder des peluches). Les magnifiques prises de vue en saisissent toute l’essence, mais c’est dans la façon dont Grignon-Francke intègre la véritable passion de Kim, la géologie, que le court métrage gagne davantage en profondeur et en lumière.
Vient ensuite Daniel le tisserand, le lumineux (voire charmant!) documentaire de Julien Cadieux sur Daniel Robichaud, un tisserand acadien et survivant du VIH qui, malgré la fatigue et des problèmes de dextérité, trouve dans son métier à tisser une forme de thérapie — et une nouvelle identité. Manifestement, c’est un artisan; Cadieux, judicieusement, utilise les œuvres textiles de Robichaud pour indiquer les transitions de l’histoire qui se déroule alors que nous découvrons son parcours. Le film regorge par ailleurs de motifs et de couleurs magnifiques (la peinture des bâtiments du Nouveau-Brunswick, des vêtements suspendus à une corde à linge, des câbles enroulés, le tourbillonnement galactique de boules de quilles) qui illuminent encore plus cette biographie.
Comme on le voit dans Les mains sales (Katshinau) de Julien G. Marcotte et Jani Bellefleur-Kaltush, la langue est bien davantage qu’un mode d’élocution : c’est notre façon de tisser des liens avec nos communautés. Une esthétique qui reproduit parfaitement l’époque nous transporte dans la vallée du Saint-Laurent en 1759 — en Nouvelle-France avant la conquête britannique — où Marie, une esclave autochtone, est au service du médecin local. Mais le feu des canons et la violence se profilent à l’horizon, et l’arrivée d’une fillette que Marie imagine être la sienne déclenche, chez cette mère, une urgence d’agir.
Le titre du film de Spencer Glassman, How’d You Sleep?, ressemble moins à une salutation matinale qu’à une interrogation : « S’il te plaît, dis-moi comment tu as fait pour t’endormir. » Glassman, qui joue dans son film, tente une combinaison de moyens pour s’assoupir : du lait chaud, des arômes de lavande, de la mélatonine en gomme à mâcher, des vidéos ASMR. Rien ne semble réellement fonctionner, mais avant longtemps, les choses s’effilochent vraiment lorsque les inquiétants rêves récurrents de Glassman tirent sur les fils lâches de son esprit hyperactif.
La dernière maille qui boucle ce programme est À toi les oreilles d’Alexandre Isabelle, un court métrage humoristique (cacophonique?) au sujet des mélodies d’Étienne et de sa famille. (Qui ne plaisent pas à tout le monde, pour ainsi dire.) Alors que leur petite ville se prépare en vue de la grande parade, Étienne tente de réunir les membres du groupe, quitte à utiliser son pouvoir de persuasion. Au moins, ils ont un char allégorique et, surtout, ils sont ensemble. N’est-ce pas tout ce qui compte? Isabelle termine son film avec un époustouflant numéro musical qui rallie tout le monde, avant de se fondre dans le soleil couchant.
Talent tout court est propulsé par Téléfilm Canada. Ce programme est présenté dans le cadre du Marché du film court de Clermont-Ferrand le mardi 6 février à 9 h HAEC – salle Georges-Conchon. Le programme vise à accroître la visibilité des courts métrages canadiens et à promouvoir les talents auprès des professionnels participant aux marchés internationaux, incluant les acheteurs et les programmateurs de festivals.
Pour de plus amples renseignements, contactez : anthea.zeng@telefilm.ca
JAKE HOWELL
Jake Howell est un auteur de Toronto et un programmateur de films à la pige.