J’ai eu la chance de sélectionner, pour Téléfilm Canada, deux films de Catherine Boivin dans le cadre de l’initiative Talent tout court : 6 minutes/km, qui a été présenté l’an dernier au Short Film Corner à Cannes, et Anotc ota ickwaparin akosiin, qui a été projeté cette année. Voici ce que j’ai écrit à propos du deuxième court métrage de Catherine Boivin qui est distribué par la Wapikoni Mobile :
« Un plan divisé en deux dans le milieu montre deux scènes domestiques : Catherine Boivin, d’un côté, effectue des tâches ménagères comme la vaisselle et le lavage; de l’autre côté, sa fille joue avec ses jouets. On entend la voix hors champ de la réalisatrice qui s’adresse avec émotion à sa mère, alors que des actions en miroir se déroulent sur l’écran. Il s’agit d’un court métrage remarquable. »
Récemment, j’ai écrit à Catherine Boivin car j’avais hâte de savoir comment elle s’est retrouvée à quitter son village d’Odanak (population de < 500 personnes) pour aller présenter son travail à Cannes, non seulement à une, mais à deux reprises :
« J’avais déjà fait un film avec la Wapikoni Mobile, » dit la réalisatrice et artiste multidisciplinaire Atikamekw Nehirowisiw. « Au début, je voulais être maquilleuse professionnelle et travailler en effets spéciaux. Cela m’a amené à travailler comme stagiaire dans un tournage professionnel. Ce stage m’a permis d’en apprendre plus sur la réalisation d’un film. Finalement, j’ai fait un baccalauréat en arts visuels et médiatiques. J’ai toujours gardé mon lien avec le montage vidéo dans mes réalisations de projet vidéo artistique. C’est lors d’une escale à Odanak que j’ai renoué avec mon rêve de travailler dans le cinéma. »
Elle explique que les escales de la Wapikoni Mobile durent un mois et que l’équipe arrive avec une roulotte munie de tout le matériel nécessaire pour faire des courts métrages. Il y a même des monteurs qui vont aider les participant.e.s à finaliser leurs projets. À la fin du mois, une projection est organisée afin de montrer les films à la communauté.
Catherine Boivin présente au Marché du Court Métrage de Cannes 2024.
« L’idée de faire ce film m’est venue un jour alors que j’étais en train de faire des tâches ménagères », dit-elle. « Je pensais à mon lien avec ma fille, à mon lien avec ma mère et à celui de ma mère avec la sienne. Le sujet des traumas intergénérationnels est un sujet souvent abordé chez les Premières Nations et je voulais aborder le cheminement vers le pardon afin d’être en paix avec soi-même. J’imaginais le film dans mon esprit et je trouvais que c’était pertinent d’utiliser à nouveau le splitnscreen. Ce choix a un but précis, celui de montrer deux personnes dans leur quotidien simultanément. J’avais déjà la finalité du montage, mais il restait juste à réfléchir comment j’allais arriver vers là. Les deux personnages sont chacun de leur côté, mais dans la finalité, ils se rapprochent. »
Il y a un moment dans Anotc ota ickwaparin akosiin où Catherine Boivin s’adresse directement à la caméra, mais ce n’est pas à nous qu’elle parle.
« Faire ce film a été une sorte de thérapie pour moi. De plus, c’est ma mère qui m’a aidée à traduire mon texte en Atikamekw Nehirimowin. De lui montrer ce que je voulais dire faisait partie du processus et ça m’a fait peur au début, car je ne voulais pas la blesser, mais je voyais aussi la nécessité. Mon but était de toucher le plus de gens possible. Mon histoire peut être l’histoire d’autres personnes. Oui, c’est une histoire qui touche les Autochtones, mais c’est aussi une histoire universelle, car ça parle de son enfant intérieur. »
D’une durée de près de cinq minutes, Anotc ota ickwaparin akosiin est court même pour un court métrage. « La simplicité peut amener beaucoup de choses », ajoute Boivin. « L’équilibre des mots et des images peut traduire un message important. »
En terminant, la réalisatrice lance un message d’espoir : « Je souhaite que mon court métrage puisse toucher les gens et créer un rapprochement entre les Autochtones et les autres. Je souhaite sensibiliser mes confrères et mes consœurs Atikamekw Nehirowisiw et ainsi faciliter la prise de parole sur leurs traumas. »